La lutte de Bonnie Robichaud et son entrée dans l’histoire

La lutte pour la justice de Bonnie Robichaud remonte à plus de 40 ans.  À l’époque, le harcèlement sexuel en milieu de travail était à ce point monnaie courante qu’on le percevait comme faisant partie des conditions de travail et qu’il n’y avait certes pas lieu de s’en plaindre officiellement.

Si les employeurs n’encourageaient pas ce genre de comportement, ils ne croyaient pas qu’il leur appartenait d’y mettre fin.  Nombreuses sont les femmes qui ont fait l’objet de harcèlement et de mauvais traitements et qui, par conséquent, se sont senties contraintes de quitter de bons emplois bien rémunérés.  Celles qui ont osé se plaindre ont été ridiculisées, méprisées et harcelées davantage.  Certaines ont même retiré leurs plaintes, car le prix à payer était trop élevé.  En effet, la lutte pour la justice leur coûtait leur emploi, leur famille et leur santé mentale.

Au début et de son propre aveu, Bonnie ne connaissait pas l’ampleur du combat qu’elle allait mener : elle voulait tout simplement que son superviseur cesse de la harceler.  Mais, à chaque fois qu’elle se confrontait à l’inaction et à l’injustice, elle était d’autant plus déterminée à persévérer.  Trop souvent, l’ont sous-estimée ses supérieurs, ses collègues, son syndicat, les avocats, les enquêteurs et le ministère de la Défense nationale.  Mais Bonnie a tenu bon.  Elle réclamait la justice et l’équité et elle a résisté aux nombreux efforts visant à l’éloigner du but. Sa victoire fut la victoire de toutes et tous.  Comment y est-elle arrivée ?

Visionnez la bande vidéo ci-jointe pour l’entendre de la bouche de Bonnie !

Bonnie a immigré au Canada à partir des Pays-Bas à l’âge de sept ans.  Elle était la quatrième de neuf enfants. La vie n’était pas facile et, pour gagner un peu d’argent, son premier emploi fut de livrer des journaux à cinq heures du matin.  À la fin de ses études secondaires, Bonnie pensait pouvoir trouver du travail mieux payé, mais à la boulangerie où elle travaillait, les hommes gagnaient deux fois plus qu’elle et les heures supplémentaires n’étaient pas rémunérées.  Bonnie a rencontré son époux Larry et pendant quelques années ils étaient heureux de fonder un foyer avec plusieurs enfants, mais l’absence de garderies posait problème.

En 1977, Bonnie Robichaud a remporté un concours pour un emploi de concierge à la base militaire des Forces canadiennes, à North Bay.  Dans un premier temps, Bonnie était ravie de cet emploi syndiqué avec un salaire décent et des avantages sociaux, surtout après plusieurs emplois mal rémunérés.  Lorsqu’un nouveau superviseur s’est mis à la harceler sexuellement, elle a fait de son mieux pour l’éviter, puis elle lui a dit d’arrêter, mais en vain. Il lui a clairement fait entendre qu’elle perdrait son emploi si elle refusait de se plier à sa volonté.  Bonnie avait besoin de cet emploi car sa famille, y compris son conjoint et leurs cinq enfants, était à sa charge. Elle a donc dû plier l’échine.

À la fin de son stade probatoire, elle s’est juré qu’elle ne se soumettrait jamais plus à pareil harcèlement et c’est à ce moment qu’elle a entamé son combat pour obtenir justice.  Ses supérieurs au ministère de la Défense nationale ont rejeté sa plainte. Son syndicat, l’Alliance de la fonction publique du Canada a tenté de la dissuader.  Au travail, on l’évitait.  Mais qu’à cela ne tienne, elle s’est entêtée le temps du processus de plainte, de la cause devant le Tribunal canadien des droits de la personne, la Cour fédérale et enfin la Cour suprême du Canada.  Seule au départ, sauf pour le soutien de sa famille, lorsque sa cause s’est ébruitée, elle s’est fait de nombreux alliés.  Elle s’est tournée vers les femmes membres de l’AFPC et du grand mouvement syndical.  Elle rédigea son propre bulletin de nouvelles qu’elle reproduisit sur une photocopieuse dont elle avait fait l’achat pour ensuite le faire parvenir par la poste à des centaines de partisans et de politiciens, ainsi qu’aux médias.  Elle a été le fer de lance d’un mouvement populaire pour contester le harcèlement sexuel tout en assumant ses frais juridiques et en continuant de travailler dans un milieu de travail non sécuritaire.  Ce mouvement s’est avéré crucial dans sa lutte, car ses partisans au sein de l’AFPC ont fait pression sur le syndicat jusqu’à ce que celui-ci soutienne son action en justice.

Les médias nationaux lui ont été favorables et la légitimité de son combat fut enfin reconnue lorsque, en 1987, la Cour suprême a rejeté la décision de la Cour d’appel fédérale et ainsi créé un précédent, soit que les employeurs devaient offrir à leurs employés un milieu de travail sûr, respectueux et exempt de harcèlement.

L’incidence de la victoire de Bonnie ne saurait être exagérée.  Bien que sa cause ait porté uniquement sur les lieux de travail de compétence fédérale, celle-ci a engendré l’élaboration de principes juridiques durables à l’échelle du pays.  Les défenseurs des droits de la personne se sont inspirés de l’affaire Robichaud pour élargir les mesures visant à protéger les catégories de travailleuses et de travailleurs vulnérables et pour s’attaquer aux comportements discriminatoires en général.

Bonnie a non seulement survécu à l’épreuve, elle est devenue une militante syndicale, une conférencière prisée, un mentor, un modèle à émuler, une pionnière et un leader dans la lutte pour les droits de la personne.  Elle est devenue membre de l’exécutif de sa section locale et s’est intéressée activement au programme BEST, une initiative de littéracie du CTC sur les lieux du travail.  Elle a soutenu et encouragé de nombreuses femmes et de nombreux organismes qui luttaient contre le harcèlement.  Au nom de plus d’une, la juge Claire L’Heureux-Dubé de la Cour suprême a déclaré : « Bonnie est mon héroïne ».

Bonnie est fière de ses réalisations, à juste titre, mais elle est très consciente qu’il faut continuer de défendre et d’élargir les droits de toutes et de tous.  Elle et son époux font une belle retraite à Ottawa où ils reçoivent régulièrement la visite de nombreux petits-enfants.  Elle travaille présentement avec le MHO et un éditeur pour raconter son histoire dans ses mots.  Nous anticipons la parution de l’œuvre en 2022 !